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La Terre au Paléozoïque

Je vais vous faire voyager du Cambrien jusqu'au Permien. Vous ferez connaissance avec la faune du Paléozoïque. De l’inostrancevia aux diictodons. Vous voyagerez à travers les ères pour les découvrir. Comme Nick Cutter en somme.

Le cambrien 2

Publié le 15 Février 2020 par Laurene Patte

L'explosion cambrienne (il y a entre 542 et 530 Ma) décrit l'apparition soudaine - à l'échelle géologique - des organismes pluricellulaires. Comment expliquer le "big bang" biologique qui se serait produit à cette époque ? Par le développement de la... vue. En offrant une arme redoutable aux prédateurs, l'œil aurait accéléré l'évolution.

Le Cambrien désigne en effet le premier étage de l'ère primaire, une période géologique qui s'étend entre moins 543 et moins 490 millions d'années. L'explosion du Cambrien, soit cet incroyable big bang du vivant ayant eu lieu il y a un demi-milliard d'années. Car d'après les fossiles retrouvés, les êtres vivants se seraient brusquement diversifiés tous azimuts à cette époque ! Un rapport décrit la "course aux armements" entre prédateurs et proies qui aurait justement été le détonateur de ce fantastique "bio-big bang".

Pour comprendre, il faut revenir à l'aube du Cambrien, lorsque la vie a jailli au fond des océans en un foisonnement sans précédent et jamais égalé. En moins de vingt millions d'années, soit un clin d'œil au vu des trois milliards d'années de notre histoire évolutive, le nombre des grands embranchements de la vie animale (ou "phyla"), serait passé de 4 à au moins 19 (et même probablement beaucoup plus), soit au moins la moitié de tous les phyla actuels ! Alors que le catalogue de la vie se résumait au Précambrien à quelques organismes mous et primitifs - éponges, vers plats, méduses... -, voilà tout à coup qu'il s'épaissit de tous les grands types d'animaux actuels : vers de toutes sortes, mollusques, arthropodes (crustacés, précurseurs des insectes...), et même chordés, c'est-à-dire les animaux dotés d'un axe nerveux dorsal, liguée menant plus tard aux vertébrés.

La vision comme facteur clé 

Comment sait-on qu'une telle explosion de vie s'est produite ? Parce que, témoignant qu'ils vécurent tous au sein d'une faune incroyablement diverse et "moderne", leurs fossiles ont été retrouvés au Canada dans les schistes du site de Burgess (-513 millions d'années, 70.000 fossiles y ont été trouvés) ou encore en Chine, dans le gisement encore plus ancien de Chengjiang (-525 millions d'années).
Le vivant tel que nous le connaissons est donc né ici, en une poignée de millions d'années décisives. Oui, mais cette certitude recèle un mystère : comment expliquer la soudaineté et l'ampleur de l'événement.

Une révolution comportementale, liée à l'apparition, juste avant le Cambrien, des premiers prédateurs. Car le processus est imparable : parce qu'elle entraîne une "course aux armements" perpétuelle entre moyens d'attaque chez le chasseur et de défense chez les proies, la prédation est un puissant moteur de l'évolution. Oui, mais comment ces prédateurs sont-ils apparus ? Et ne sont-ils pas le résultat - et non la cause - de la fameuse explosion ? C'est ici qu'entre en scène Andrew Parker. De fait, son hypothèse a le mérite de répondre à de multiples questions tout en restant simple et vraisemblable : le facteur clé du changement, selon lui, ce serait l'évolution de la vision ! Résumée sous l'appellation de "théorie de l'interrupteur" (Light Switch Theory), cette hypothèse, dont les grandes lignes ont paru en 1998 dans un article fondateur, explique que l'œil, en fournissant une arme révolutionnaire aux chasseurs, a totalement bouleversé l'évolution à la frontière du Cambrien et mené tout droit à la diversité révélée à Chengjiang et Burgess. Une théorie qui devrait être publiée en français dans les mois à venir.
Concrètement, le scénario proposé par Andrew Parker est le suivant. Un œil extrêmement rudimentaire aurait commencé d'évoluer chez un arthropode primitif vers la fin du Précambrien. Ce "point de départ" pourrait être un animal âgé  de 565 millions d'années, dont le fossile, retrouvé en Australie en 1992, évoque celui des trilobites, ces arthropodes caparaçonnés communs dans les mers de l'ère primaire, depuis le Cambrien jusqu'à leur extinction il y a 250 millions d'années. C'est ce "prototrilobite" fondateur, dont le diamètre ne dépasse pas 3 cm, qui aurait inauguré la lignée des trilobites, dont les plus anciens fossiles sont effectivement âgés de 540 millions d'années et, à ce jour, les plus vieux représentants connus des arthropodes.

L'effet trompe l'œil 

Mais surtout, ces trilobites sont aussi les premiers à porter des yeux incontestables, l'arme la plus dévastatrice jamais inventée par l'évolution : "L'apparition subite de prédateurs capables de traquer leurs proies à vue a bouleversé l'équilibre des écosystèmes, explique Andrew Parker. La vision est en effet le plus puissant des sens, parce qu'il est impossible d'y échapper ! Un animal peut être silencieux ou n'émettre aucun signal chimique. Mais aucun animal ne sait être invisible. De sorte que la lumière - et la vue - exercent sur la vie une formidable pression évolutive. L'irruption de trilobites prédateurs dans un monde où la chasse se limitait à une affaire de hasard - celui poussant, par exemple, une proie dans des tentacules tendus à l'aveuglette dans le courant - fait penser à l'entrée d'un loup dans la bergerie, avec pour seule échappatoire les voies offertes par une évolution accélérée : grandir pour disposer de membres plus efficaces et pouvoir mieux fuir, développer des yeux pour percevoir la menace, se réfugier dans des terriers, inventer un camouflage, fabriquer des défenses passives (cuirasses articillées, épines...), parfois signalées par des iridescences colorées. Destinées à avertir le prédateur du risque encouru, ces couleurs vieilles d'un demi-milliard d'années ont été découvertes par Parker sur les carapaces fossilisées retrouvées à Burgess. Un fait d'arme qui lui a valu sa première intuition de la théorie de l'interrupteur : si ces animaux étaient colorés, c'était justement pour être vus, et craints, des prédateurs.

Sur ce fossile de trilobite datant du tout début du Cambrien, on discerne de chaque côté de la tête des arêtes qui témoignent de la présence des yeux. ->

L'explosion du Cambrien se résumerait-elle donc à une brusque accélération de l'évolution survenant à la suite d'une percée sensorielle majeure ? Pas si simple. Car si la pression évolutive peut expliquer la profusion soudaine des structures superficielles, elle ne peut éclairer en revanche sur le bouleversement bien plus intime des plans anatomiques. Parce qu'ils régentent les fonctions vitales et que chaque modification implique des conséquences dramatiques pour le fonctionnement de l'organisme, les systèmes nerveux, sanguin ou digestif n'évoluent en effet qu'à tout petits pas, sur de très longues périodes, de l'ordre de dizaines de millions d'années. Comment ces plans anatomiques auraient-ils alors pu se diversifier en quelques millions d'années seulement ? Andrew Parker emprunte ici la réponse à une théorie qui rallie de plus eu plus les paléontologues : "Le fameux big bang du Cambrienne serait en définitive qu'un trompe-l'œil, un effet causé par l'apparition soudaine, dans les fossiles, de formes animales qui ne se conservaient pas auparavant, résume Françoise Debrenne, paléontologue au Muséum national d'histoire naturelle. Des animaux à la fois minuscules et dépourvus de parties dures, comme ceux qui vivaient probablement au Précambrien, n'ont que très peu de chances de se fossiliser." La preuve la plus convaincante de cet "effet trompe-l'œil" se retrouve dans l'étude des "horloges moléculaires". En comparant les différences entre les gènes d'espèces animales actuelles, des biologistes ont montré en effet que la divergence entre les phyla a pu s'étaler sur plusieurs centaines de millions d'années, c'est-à-dire bien avant le Cambrien ! Loin d'être brutale, l'explosion aurait donc plutôt fait long feu. Certes, la précision des horloges moléculaires reste très contestée, car il est très difficile d'établir avec certitude les cadences des mutations génétiques. Mais l'hypothèse d'une diversification des animaux sur une longue période reste suffisamment vraisemblable pour compléter la théorie de l'interrupteur : en forçant les animaux à adopter un blindage pour se protéger et à grossir pour améliorer leur mobilité, le tandem vision-prédation a simplement révélé, à travers les fossiles du Cambrien, une infinité de plans anatomiques bien antérieurs.

Si les trilobites ne sont pas le "groupe détonateur" du big bang du Cambrien, la vision spatiale a fort bien pu naître, loin dans le Précambrien, chez des arthropodes très primitifs, dont Fuxianhuia protensa (->), un carnivore de 10 cm retrouvé à Chengjiang, pourrait être le descendant. Selon Dan-Erik Nilsson, il faut sans doute ajouter dans le scénario le rôle d'entraînement mutuel joué par les facteurs taille, mobilité et vision : plus l'animal grandit, en effet, plus les performances optiques de ses yeux progressent et plus ses membres sont efficaces. En retour, une meilleure vision et une mobilité étendue favorisent la prédation qui assure les moyens de croissance... C'est peut-être par le biais de ce "cercle vertueux", enclenché par la vision, qu'auraient évolué séparément les différentes lignées d'arthropodes - dont les trilobites et probablement d'autres animaux prédateurs - bien avant le début du Cambrien.
Combien de temps ? Personne ne peut le dire. "Mais la théorie de l'interrupteur devient ici beaucoup plus acceptable", concède Richard Fortey. Une chose est toutefois sûre : si toute la lumière n'est pas totalement faite sur le Précambrien, on commence tout de même à y voir bien plus clair.

 

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